Le Châu van " et le " Lên dông", trésor de valeur derrière leur dessus religieux.
Bien mal inspiré serait celui qui ne verrait dans le "Châu van " (chant des sorcières) et le "Lên dông " (danse des sorcières) qu'un spectacle simpliste et stylisé.
Il s'agit d'un héritage si riche et si précieux de la culture nationale, que de rares compositeurs qui font revivre cette représentation à l'étranger sont chaleureusement applaudis.
Le Châu van est une représentation religieuse originale, qui fait intervenir des scènes de danse. Il comprend un prélude de musique et de chant, qui baigne les spectateurs dans une atmosphère religieuse.
A un moment précis, le Châu van prévoit l'entrée en transe d'un médium (Lên dông) pour exprimer une grande explosion artistique. Les instruments de musique employés sont le tambourin, les castagnettes, la clochette, le petit gong, la viole à deux cordes, le luth à caisse ronde et, quelquefois, la cithare à seize cordes et le dan day (luth à trois cordes et àmanche longue des ethnies minoritaires du Nord).
Le chantre du Châu van chante tout en pinçant l'instrument. Il y a jusqu'à une quarantaines d'airs du Châu van ainsi que de nombreuses variations, très sérieuses, qui expriment le courage et la volonté. Quelquefois, il s'agit des airs mélodieux qui réveillent de vieux souvenirs... Dans le Châu van, quelque chose ressemble au "hat noi " (chansons destinées aux chanteuses professionnelles), au "cheo " (théâtre populaires du Nord), au "noi loi " (style conversation), au "ngam Kieu " (déclamation des vers du Kieu) et à d'autres autres déclamations et liturgies. Le rythme y est souvent précipité, scandé, syncopé... pour exprimer toute une gamme de sentiments humains.
Le Châu van a un caractère pré-religieux. Il est l'amalgame de plusieurs religions importées au Vietnam et des éléments autochtones qui se sont développés dans la communauté vietnamienne. La musique et les paroles du Châu van ont un grand pouvoir de généralisation et d'abstraction. Ce sont des paroles de description, de narration, de récit, de louanges, d'aspiration, de voeux qui tendent, indirectement, vers une fleur parfaite ou un feu merveilleux, un feu sacré auquel l'homme, par sa nature malheureuse, ne saurait prétendre. D'après le Professeur japonais Ishisawa, il s'agit là d'un art musical à la fois profondément méditatif et tempétueux.
L'apogée du Châu van se situe à l'époque des dynasties des Lê Antérieurs (981- 1009), des Ly (1010- 1225), des Trân (1225-1400) et dans les années 20 à 40 de ce siècle.
Le Châu van se répartit sur plusieurs "foyers " avec des caractéristiques plus ou moins différentes. Ce sont les foyers de Nam Dinh, de Bac Ninh, de Hai Phong, de Hung Yên, de Thai Binh...
Depuis longtemps, des compositeurs ont exploité certains airs du Châu van et pleinement réussi leurs tentatives, àl'intérieur du pays aussi bien qu'à l'étranger. Mais ils restent bien peu nombreux. Le Châu van est un terrain fertile jusqu'ici très peu exploité.
Avant 1940, des compétitions du Châu van étaient organisées àHanoi, comme dans les rues Hang Quat, Hang Khoai, Hang Ma, Hang Bac (Rue de l'Eventail, Rue de la Patate, Rue des Papiers Votifs, Rue des Monnayeurs) avec la participation d'artistes de Bac Ninh, de Nam Dinh... Et des prix importants à la clef. Le jury était composé de trois membres: L'un, appréciant le chant, qui prodigue des récompenses par des coups de tambourin; un autre qui punit par des coups de cloche; et le troisième qui donne des notes.
Quant à la vie des Cung van, ou chantres, elle était plutôt aventureuse. Les chantres errants vivaient de dons des corporations et du public, mordus de ce genre de musique.
Le Châu van chante et raconte la vie des personnages merveilleux et abstraits, qui portaient des noms imaginaires comme: Le prince Dix, le Prince Cinq, le Prince Bo, la Princesse Neuf, le Prince Sept, la Princesse Muong, la Mère de la Forêt, la MèreThoai des Eaux, la Mère Liêu Hanh... Ces divinités se sont incarnées dans les chefs militaires des rois Hùng-fondateurs de la Nation, du Génie des Montagnes Tan Vien et d'autres rois. Elles sont encore incarnées par des princes, des princesses, des hommes surnaturels qui prennent la défense des gens honnêtes et qui punissent les méchants.
La musique et les paroles du Châu van, à la fois divines et vulgaires, sont étroitement liées à la légende. Le Châu van décrit les beaux paysages de la Patrie pour embellir les personnages distingués. Mais il raconte tout du long du jour que les esprits et les Génies, bien que respectables, ont pourtant commis des fautes comme les simples mortels.
La musique du Châu van est pure. Elle captive les gens pendant deux ou trois heures d'affilée, sans les fatiguer (Docteur Samidi. Indonésie).
Dans cette atmosphère de musique et de chanson, le médium se voit investir par l'âme des esprits. Le médium qui joue le rôle de tel ou tel esprit porte tous les traits caractéristiques de cet esprit. Surtout, une fois entré en transe, en sublimation, il est vêtu par son entourage de vêtements spécifiques àl'esprit qu'il incarne. Il porte des parures (quand il représente un esprit féminin) ou des armes (quand il s'agit d'un esprit militaire). Au nom du personnage incarné, le médium chante et exécute des pas de danse conventionnelle et stylisée, accompagné par la musique des chantres. On pourrait en conclure qu'il s'agit des gestes simples et grossiers. Mais en réalité, ce sont là des gestes, des attitudes qui remontent aux origines de l'Humanité. C'est le cas des danses à la fois divines et vulgaires, comme la danse de la serviette, la danse des chandelles, la danse des fleurs, la danse des rameurs, la danse de l'épée, de l'arc, du bâton, etc.
Après la danse, l'esprit prend sa place et commence à donner des ordres, des conseils, des reproches à l'adresse de son entourage. Il prodigue des dons à tout le monde, puis se retire enfin. C'est la fin d'une scène de transe qui est en même temps une scène de chant, de danse, de musique et de théâtre.
Quant à l'habillement des médiums, il mérite qu'on y prête de l'attention. Les couleurs sont d'ordre religieux, dans la Cour royale et dans la vie quotidienne. La Mère de la Forêt porte toujours des vêtements verts pour représenter la forêt. Cette couleur verte est renforcée par tout un attirail, comme des passementeries, des ceintures, des turbans. Les vêtements accentuent encore la beauté du corps: le cou à trois bourrelets, le rire aux cent fleurs de la Mère. La Mère Thoai des Eaux et le prince Bo ont des vêtements tout blancs qui représentent les eaux, les fleuves et la mer, et sont relevés par des décorations multicolores.
Les personnages incarnés portent sur eux d'autres pièces, telles que les chapeaux, les chaussures brodées, l'éventail, le couteau, la chaîne d'argent, le tube à chaux, les mouchoirs, etc. Tous ces objets renferment beaucoup d'histoires, ils sont fabriqués avec soins et relevés par la couleur locale.
D'une manière générale, il faudrait procéder à un examen minutieux du Châu van et du Lên dông. Il s'agit ici d'une forme de représentation du théâtre populaire. Elle a donné naissance à d'autres branches artistiques, tels que le chant, la musique, la danse, l'art décoratif, la peinture et les arts plastiques du Vietnam.
En 1996, la troupe artistique du Vietnam s'est produite dans plusieurs pays du monde. Le numéro intitulé: "Trois médiums en transe " a été vivement applaudi. Il a bouleversé les théâtres de plusieurs pays. Mais ce n'est là qu'un petit flacon de parfum tiré des grandes bouteilles de l'art du Châu van et du médium en transe du Vietnam.
Le Châu van et le Lên dông constituent un héritage précieux de notre culture nationale qu'il faut à tout prix garder et exploiter. Naturellement il faudrait en écarter les abus et les spéculations qui tendent à les transformer en phénomènes superstitieux, pour leur redonner un caractère social, culturel et économique. Ce faisant, ils deviendront un monument multi-faces de la culture nationale et même internationale.