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Village des serpents de Le Mat
Dans le calendrier lunaire vietnamien, les 2 premiers mois sont synonymes de festivités et cultes. Passée cette période de réjouissance, les fêtes se font plus rares et la vie quotidienne reprend son cours. Alors qu'approche le 21e jour du 3e mois lunaire, un parfum d'agapes se fait de nouveau sentir. Et voilà le jour dit ! Des grappes de joyeux lurons convergent vers Lê Mât, à environ 6 km du centre de Hanoi.

Le village Lê Mât, dans la commune de Viêt Hung, district de Gia Lâm, est depuis fort longtemps réputé pour ses serpents.
Transportant des plateaux rouges, la foule se rend au dinh (maison communale) pour y présenter des offrandes multicolores. La fête peut commencer, comme elle se faisait déjà il y a un millénaire.

Une légende fondatrice
Au roulement d'un grand tambour, les spectateurs se regroupent dans la grande cour du dinh où bientôt les danseurs vont reproduire la légende du village. "Voici maintenant la danse de Giao Long (monstre aquatique en forme de serpent) qui glorifie la victoire de notre génie titulaire et explique l'origine de cette fête", annonce le narrateur qui poursuit en rappelant les origines de ce conte où se mêle le fantastique à la réalité. Sous le règne du roi Ly Thai Tông (1028-1054), une de ses princesses aimait se promener sur la rivière Thiên Duc (aujourd'hui la rivière Duông). Un jour, tandis qu'elle se reposait tranquillement dans sa barque, la jeune fille fût soudainement attaquée par un grand et féroce serpent qui l'entraîna au fond de la rivière. Le roi, profondément affecté par la disparition de sa fille, s'engagea à offrir une carrière et des joyaux à celui qui lui ramènerait la dépouille de la princesse. Beaucoup d'officiers, soldats ou simples paysans tentèrent de suivre les traces du monstre. Tous échouèrent. Jusqu'à ce qu'un jeune villageois valeureux de famille Hoàng trouve la bête et la terrasse. Refusant toutes les récompenses royales, il sollicita l'autorisation de défricher la région à l'ouest de la citadelle impériale. Les villageois fondèrent ainsi 13 nouveaux villages. Après avoir mis en valeur cette terre fertile, Hoàng Duc Trung s'en retourna dans son village natal. Trù Mât, l'ancien nom de Lê Mât, devint vite opulent et témoigna de sa reconnaissance en nommant le jeune homme génie tutélaire. En prenant exemple sur leur héros, les villageois, outre la culture du riz et la préparation des médicaments traditionnels, se spécialisèrent dans la chasse et l'élevage du serpent.

Des festivités annuelles comme un retour aux sources
La fête du village Lê Mât débute le 21e jour du 3e mois lunaire par la procession du Génie serpent autour du village. Des fanions de diverses sortes et multicolores sont plantés tout au long du chemin qui mène au dinh. Traditionnellement, on pratique le Lê Da Ngu à l'étang de la maison communale. Il s'agit d'une pêche à la carpe qui sera servie crue sur l'autel du culte.

L'ambiance est d'abord solennelle, entre le son des gongs et des tambours. Les familles du village expriment, les unes après les autres, leur respect au génie titulaire.

Chaque année, les représentants des 13 quartiers hanoïens : Vinh Phuc, Ngoc Khanh, Công Yên, Ngoc Hà, Dai Yên, Liêu Giai, Giang Vo, Công Vi, Van Phuc, Thu Lê, Xuân Biêu, Huu Tiêp và Kim Ma viennent aussi rendre hommage à cet ancêtre légendaire. Lê Mât devient ainsi un lieu de retrouvailles pour les habitants de Kinh Quan et Cuu Quan.

Truong Vinh Tiêp, sous-chef du comité d'organisation, explique : "La fête est toujours bondée, surtout pour les quinquennales. Bien que très occupés par l'organisation des festivités et l'accueil de nos frères de Kinh Quan, nous sommes très heureux de recevoir des touristes vietnamiens et de l'étranger".

La fête comprend aussi des jeux populaires tels que les combats de coqs, le co nguoi (échec traditionnel dont chaque pièce est représentée par une personne), confection de figurines en pâte… et des activités artistiques locales. On assiste également à des danses populaires traditionnelles de bông (petit tambour), sênh (cliquette), mo (cloche en bois).

Village des serpents
Aujourd'hui, le village continue de vivre pour ses serpents, à travers ces festivités bien sûr mais aussi pour les métiers de chasse et d'élevage dont les spécialités de vipères et bongares. En réalité, leur capture n'est quasiment plus pratiquée à cause de la disparition des reptiles. En revanche, les terrariums d'élevage permettent de fournir abondamment les restaurants au bout du village où depuis des années on vient savourer des mets à base de l'animal. C'est une expérience originale de voir ces cuisiniers parvenir à confectionner une douzaine de plats à partir d'une simple couleuvre. Et pourtant, sa tête hachée fera d'excellentes brochettes, ses filets des nems, son dos une salade, son ventre une soupe, sa peau des beignets, sa queue une bouillie. On ne jette presque rien et la petite dégustation de vin au serpent est toujours vivement attendue.

Nguyên Dang Phao, un éleveur retraité, révèle un petit secret sur ce type d'alcool : "La médicine orientale traditionnelle règle la macération des groupes de 3 (tam xà tinh): mocassin, bongare annelé, bongare à anneaux blancs et noirs et de 5 (ngu xà tinh) à ajouter : couleuvre aglyphe et vipère dans l'alcool d'herbes médicinales..." Cette eau-de-vie est très bonne pour la santé et permet de vaincre les rhumatismes, arthralgies, myalgies.

Cette année, malgré une température autour des 33-34°C, on se rend en foule à la fête de Lê Mât, puis déjeune ensemble dans les restaurants de serpents. Parmi eux, des étrangers équipés de leurs appareils photos et de leurs caméras ne perdent pas une miette de ce spectacle, l'œil à la fois curieux, surpris mais finalement ravis. Un tel succès festif et gastronomique pourrait bientôt faire de Lê Mât un nouvel argument touristique de la capitale.